Aujourd'hui, l'accélération de l'expansion de l'Univers est un fait bien établi, grâce à plusieurs observations :
- La relation distance de luminosité - redshift des supernovae thermonucléaires. Cette relation dès qu'elle est mesurée semble clairement indiquer que l'Univers accélère son expansion malgré des doutes sur les analyses récompensées par le prix Nobel 2011 (J. T. Nielsen, A. Guffanti et al. 2016) .
- Les observations du fond diffus cosmologique et de ses anisotropies.
- Les catalogues de galaxies, leur fonction de corrélation.
Toutes ces observations semblent indiquer, dans le cadre de la relativité générale, l'existence d'une constante cosmologique $\Lambda$ positive, dont la valeur est d'environ $10^{-69} \textrm{ m}^{-2}$. L'équation d'Einstein se voit modifiée pour devenir : \begin{equation} G_{\mu\nu} + \Lambda g_{\mu\nu} = \dfrac{8\pi G}{c^4} T_{\mu\nu} \end{equation} Où $G$ est le tenseur d'Einstein, qui contient l'information sur la géométrie de l'espace-temps, et $T$ le tenseur énergie-impulsion qui contient l'information sur son contenu (énergie et pression du contenu de l'Univers). Le terme du à la constante cosmologique peut être intégré dans le tenseur énergie impulsion, et alors celle-ci s'interprète comme une forme d'énergie particulière d'équation d'état $P = w\rho$. Comme cette "énergie" échappe à une détection directe, à la manière de la matière noire, on l'appelle énergie noire. La valeur de $\Lambda$ implique que celle-ci représente environ 75 $\%$ de la densité critique. Pour être parfaitement équivalente à une constante cosmologique, il faudrait $w = -1$ soit $P=-\rho$.
Les problèmes posés par la constante cosmologique
Cette équation d'état est a priori difficile à comprendre, mais elle correspond à celle de l'énergie d'un champ stationnaire. Une explication attrayante serait alors qu'elle est simplement égale à l'énergie du vide des champs du modèle standard de la physique des particules, aussi appelée énergie de point zéro, mais cette interprétation se heurte à une difficulté importante. En effet, la densité d'énergie prédite selon cette hypothèse est bien trop grande. La contribution d'un champ sans masse à l'énergie du vide peut être estimée par analogie avec les niveaux d'énergie d'un oscillateur quantique. Ces niveaux sont $E_n = \hbar \omega_{\vec{p}} (\frac{1}{2}+n)$ où $n$ est un entier correspondant au nombre de particules et $\hbar\omega = pc$. Le niveau fondamental $E_0$ correspond donc à une énergie $\frac{1}{2}\hbar \omega_{\vec{p}}$. Reste alors à sommer la contribution de chaque mode $\vec{p}$ : \begin{equation} \rho_{vacuum} = \dfrac{1}{(2\pi \hbar)^3}\int \dfrac{1}{2} \hbar \omega_{\vec{p}} d^3 p = \dfrac{2\pi c}{(2\pi \hbar)^3} \int p^3 dp \end{equation} Cette somme est divergente, mais on peut supposer que l'intégrande est valide jusqu'à une certaine échelle $\Lambda$ appelée "cut-off". Cette échelle est nécessairement supérieure au TeV puisque le modèle standard de la physique des particules est très bien vérifié en dessous de cette énergie. Elle est par ailleurs probablement inférieure à l'échelle de Planck $M_{pl} = 10^{19}$ GeV. Dans ce cas, $\Lambda = M_{pl}$ et, en unités naturelles ($\hbar = c = 1$), l'expression précédente donne donc une densité d'énergie du vide $\rho_{vacuum} \sim \Lambda^4$. \begin{equation} \rho_{vacuum} \sim M_{pl}^4 = 10^{112} \textrm{eV}^4 \end{equation} Les observations cosmologiques donnent $\rho_{\Lambda} = \Omega_{\Lambda} \rho_c \sim 10^{-16} \textrm{ eV}^4$. De là : \begin{equation} \dfrac{\rho_{\Lambda}}{\rho_{vacuum}} \sim 10^{128} \end{equation} Ainsi la prédiction théorique est supérieure de plus de 120 ordres de grandeur à la valeur expérimentale. Il y a clairement un problème ! Dans le meilleur des cas, en abaissant le cut-off à l'échelle électrofaible (1 TeV), l'excès est toujours énorme (plus de 60 ordres de grandeur) (Raphael Bousso 2012) . Le fait que la contribution à la constante cosmologique due à l'énergie de point zéro des champs du modèle standard soit bien trop large par rapport à l'ordre de grandeur attendu est appelé "problème d'ajustement fin de la constante cosmologique". Il est assez extraordinaire, si cette interprétation est correcte, que les contributions de chaque champ à l'énergie du vide se compensent miraculeusement pour atteindre une valeur totale si particulière.
Il existe un autre problème plus discutable avec la constante cosmologique, qui consiste à savoir pourquoi sa valeur aujourd'hui est-elle que $\rho_{\Lambda}$ soit du même ordre de grandeur que la densité critique $\rho_c$. Ceci n'étant pas vrai à toute époque ($\rho_\Lambda$ est constante si parfaitement équivalente à une constante cosmologique, alors que $\rho_c$ diminue avec l'expansion), il revient à se demander si le fait que l'on mesure aujourd'hui un paramètre de densité $\Omega_{\Lambda} \equiv \rho_{\Lambda}/\rho_c$ de l'ordre de l'unité est une coincidence.
En réponse à ces problèmes, diverses solutions ont été suggéré, qui restent encore à tester.
Modification de la gravité
Il est possible que l'énergie de point zéro des champs quantiques ne contribue pas comme on le pense à $\rho_{\Lambda}$. Elle peut s'annuler parfaitement, ou bien peut-être nos hypothèses sur l'interaction gravitationnelles sont incorrectes (voir le diagramme de Feynman suivant qui suppose que l'hypothétique graviton se couple avec des boucles qui donnent naissance à l'énergie du vide).
Le principe anthropique et le "landscape" des théories des cordes
Si la constante cosmologique avait pris une valeur de plusieurs ordres de grandeur supérieure, alors la formation des galaxies aurait été impossible car l'effet de répulsion de $\Lambda$ s'oppose à la condensation gravitationnelle (Steven Weinberg 1987) , et nous ne serions pas là pour parler de physique. Toutes les observations que nous faisons sont nécessairement compatibles avec l'existence de la vie humaine, et donc toutes les théories doivent l'être également. Si un paramètre est libre dans un modèle physique (c'est le cas de la constante cosmologique dans la relativité générale), et que nous sommes là pour le mesurer, alors sa valeur doit être telle que nous puissions exister, et donc compatible avec la formation des galaxies. Cette idée est désignée sous le nom de "principe anthropique". Par ailleurs, les travaux effectués sur les théories des cordes et la théorie de l'inflation semblent suggérer les choses suivantes :
- Les théories des cordes sont capables de prédire un très grand nombre d'états du vide stables ou meta-stables (vacua) (Raphael Bousso 2012) qui peuvent par exemple ressembler à un espace de de-Sitter avec constante cosmologique (Shamit Kachru, Renata Kallosh et al. 2003) . Donc, les théories des cordes semblent autoriser une très large quatnité de valeurs pour $\Lambda$. C'est le "landscape de la théorie des cordes".
- Un scénario envisageable est qu'une région de l'Univers puisse effectuer une transition vers un autre état du vide (avec une constante cosmologique différente), et grandir avec l'expansion. Ceci est tout à fait similaire au mécanisme original d'inflation proposé par Guth. Cette bulle qui s'expand devient un sous-univers avec sa propre valeur pour $\Lambda$ et d'autres paramètres physiques. Dans ce scénario, on appelle multivers l'ensemble de ces univers "enfants".
Résultats expérimentaux
La caractérisation de l'énergie noire passe principalement par l'étude de son équation d'état. Si le paramètre $w=P/\rho$ de l'énergie noire est laissé libre dans le modèle standard de la cosmologie, alors les derniers résultats de Planck donnent un meilleur "fit" pour $w = -1,006 \pm 0,045$ (P. A. R. Ade, N. Aghanim et al. 2016) , tout à fait compatible avec une constant cosmologique ($w=-1$). Si l'énergie noire est due à un fluide non stationnaire, sa valeur pourrait varier. Le problème est qu'a priori celle-ci n'a d'impact sur l'expansion qu'assez tard dans l'histoire de l'Univers, alors que le facteur d'échelle évolue peu. Une paramétrisation phénoménologique habituelle est une dépendance affine de $w$ avec le facteur d'échelle (P. A. R. Ade, N. Aghanim et al. 2016) : \begin{equation} w(a) = w_0 + w_a(1-a) \end{equation} Celle-ci est vraiment très générique puisqu'elle correspond à un développement de Taylor de $w$ en tant que fonction de $a$. Cependant il existe des modèles spécifiques motivés par la théorie qui permettent de mieux évaluer la dépendance de $w$ attendue avec $a$. C'est le cas par exemple de celui du "slow-rolling scalar field", c'est-à-dire d'un champ scalaire $\phi$ évoluant lentement dans un potentiel $V(\phi)$ pour lequel on a : \begin{equation} w(\phi) = \dfrac{\frac{1}{2}\dot{\phi}^2-V(\phi)}{\frac{1}{2}\dot{\phi}^2+V(\phi)} \end{equation} Si le champ varie lentement ($\dot{\phi}^2 \ll V(\phi)$) on a bien $w\to -1$. A partir de cette dépendance, des paramétrisations plus spécifiques de $a\mapsto w(a)$ peuvent être établies permettant l'obtention de meilleurs contraintes sur les paramètres physiques du modèle (Zhiqi Huang, J. Richard Bond et al. 2011) . Ceci permet d'exclure certains modèles simplistes (P. A. R. Ade, N. Aghanim et al. 2016) .
Certaines analyses tentent aussi de reconstruire $w$ en fonction de $z = 1/a-1$, "bin à bin", comme sur la figure suivante : Cette méthode a l'avantage de requérir très peu d'hypothèses, mais la contrepartie est d'offrir des résultats très peu contraints.Futures expériences
Plusieurs expériences
Euclid
Euclid est un projet de télescope spatial doté d'un miroir de 1,2m de diamètre validé par l'Agence Spatiale Européenne (ESA) en 2011 (R. Laureijs, J. Amiaux et al. 2011) . Il doit être lancé en 2020. Il comportera deux instruments :
- Le Near Infrared Spectrometer and Photometer (NISP), sensible aux longueurs d'onde entre 1 et 2 $\mu$m avec une résolution angulaire de l'ordre de 0,3''. Le spectromètre permettra une mesure précise du redshift des objets observés, avec une résolution spectrale $\lambda/\Delta \lambda \sim 250$.
- Le Visible instrument (VIS) doté d'une caméra CCD sensible à l'intervalle de longueurs d'ondes 550-900 nm et d'une résolution de 0,1'' par pixel.
Ces mesures devraient permettre de constituer un catalogue sans précédent d'objets à haut redshift (galaxies, quasars, supernovae). Le volume de détection sera multiplié par 500 par rapport au SDSS. Toutes ces données devraient contribuer à améliorer de façon significative les contraintes sur certains paramètres cosmologiques via l'observation des oscillations acoustiques de baryons et de l'effet de lentille gravitationnelle faible. On attend par exemple une amélioration de la limite sur $w_a$ d'un facteur $\sim$ 50 et de celle sur la somme des masses de neutrinos d'un ordre de grandeur. L'observation de quasars à haut redshift ($z \sim 6 - 8$) devrait apporter des renseignements précieux sur la réionisation.
Wild Field Infrared Survey Telescope (WFIRST)
WFIRST est une mission de la NASA validée en 2016 consistant en un télescope spatial devant être lancé au cours de la prochaine décennie. Le téléscope consistera en un miroir de 2,4m, et ses instruments détecteront des longueurs d'onde comprises entre 0,2 et 1,7 $\mu$m. Il devrait être capable de voir des objets légèrement moins lumineux qu'Euclid (gain de +2 en magnitude). Il viendra donc compléter la mission scientifique d'Euclid. Par ailleurs, il sera doté d'un coronographe, facilitant l'observation d'exoplanètes.